An 64. Rome flambe. Les ennemis du césar Néron l’accusent d’incendie volontaire de la ville. Néron cherche une explication ou un bouc-émissaire. Il trouve: la nouvelle secte mystérieuse, rejetant officiellement les dieux romains et considérée comme un danger pour “les valeurs de Rome”. Les chrétiens deviennent accusés de la tragédie. Certains sont jetés aux bêtes sauvages dans l’arène, d’autres attachés à des pieux et brûlés vifs.
“Les Torches de Néron” est une peinture monumentale, créée en 1876 à Rome par Henryk Siemiradzki (1843-1902), connu pour avoir réalisé de grands panoramas, en particulier sur le thème de l’antiquité gréco-romaine. La toile représente la scène de l’attente de l’ordre de Néron pour incendier les torches avec les accusés. Le spectacle, pour lequel une foule de curieux est arrivée, se déroule dans le parc du palais de l’empereur. La peinture reflète l’atmosphère de la ville éternelle, vivant au rythme “du pain et des jeux” (panem et circenses).
Siemiradzki y oppose deux groupes. A gauche, il y a les élites romaines: dépravées, corrompues ou apeurées par le despote tyrannique. Devant la Maison dorée (Domus Aurea) du césar se groupent des patriciens, des gladiateurs, des racoleuses. Néron est porté dans une litière par ses esclaves.
De l’autre côté, se trouvent les idéalistes inflexibles, prêts à être sacrifiés pour leur religion. Le peintre exprime la beauté et la splendeur de l’Ancienne Rome, malgré le drame qui semble jouer à la marge. Les chrétiens se trouvent dans l’ombre, tandis que leurs oppresseurs sont présentés dans le plein soleil. L’écrit en latin sur le cadre est un extrait du Nouveau Testament: “et lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt”, ce qui signifie: “et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée” (J 1,5).
La peinture est de style académique. Une fois finie, elle fit le tour de l’Europe et fut exposée à Munich, Vienne, Berlin, Saint-Petersbourg, Lwow, Poznan, Londres et Prague. Elle participa à l’Exposition Universelle de Paris en 1878 et se vit décernée la médaille d’or, apportant la gloire au peintre.
Henryk Siemiradzki était né en 1843 dans une famille noble polonaise, installée à côté de Kharkov, maintenant en Ukraine. Pour ses compatriotes, “Les Torches de Néron” représentaient la dictature du tsar russe sur le territoire polonais, et le symbole de la victoire future de ceux qui étaient alors opprimés.
En 1879, la peinture fut offerte au Musée de Cracovie, où l’on peut l’admirer encore aujourd’hui. Siemiradzki fit ce don lors du jubilé des 50 ans de la création de Józef Ignacy Kraszewski, écrivain et ami du peintre.
Siemiradzki réalisa une autre peinture liée à la même histoire. “Dircé chrétienne” représente une jeune femme, maltraitée pendant un spectacle dans l’amphithéâtre de Néron. Son corps sans vie, attaché à un taureau, se trouve au premier plan. Néron et des représentants de la cour impériale regardent la scène brutale de près.
Le titre “Dircé chrétienne” est lié à la mythologie grecque. Dircé, la deuxième femme du roi de Thèbes, perdit la vie comme cette jeune chrétienne. Les fils de la premier femme de son mari l’ont attachée à un taureau indompté, pour se venger de mauvais traitements.
On peut dire, pourtant, que le drame est terni par l’érotisme. Le corps de la femme n’a ni trace de sang, ni blessure. Il est parfait. Aussi, tous les personnages semblent indifférents, sans aucune expression du visage. Siemiradzki se concentra notamment sur les détails, qui sont exécutés avec une précision archéologique reflétant la réalité de l’époque. Le peintre était un représentant éminent de l’académisme européen, et resta fidèle à ce courant, même si cet esthétisme du style académique commença à être critiqué à la fin du 19e siècle.
Après l’incendie, Néron fit reconstruire Rome de façon plus moderne, et, ce qui fut le plus important, utilisant la pierre plutôt que le bois. Evidemment, il resta universellement et pour toujours surtout connu comme le tyran et premier persécuteur des chrétiens. Cette image fut fixée dans la mémoire collective en 1896 par le roman historique “Quo Vadis” de Henryk Sienkiewicz, prix Nobel en 1905 pour l’ensemble de son oeuvre, et mis en scène par plusieurs réalisateurs, dont en 1901 le français Ferdinand Zecca, en 1951 l’américain Mervyn LeRoy et en 2001 le polonais Jerzy Kawalerowicz.
Parmi les chrétiens de l’époque la croyance de la venue de l’Antéchrist était forte. L’Apocalypse de Saint-Jean disait que la Grande Babylone chuta parce qu’elle était dépravée et que la même histoire pourrait se reproduire. L’incendie de Rome fut interprété comme l’avant-première de la fin du monde et Néron fut identifié comme l’Antéchrist.
L’Empire Romain finit par s’écrouler, mais plutôt pour des raisons prosaiques, comme l’incapacité à gérer un territoire immense et multiculturel, la crise économique et l’afflux des tribus germaniques à ses frontières.
Bibliographie:
. Muzeum Narodowe w Krakowie: Galeria Sztuki Polskiej XIX Wieku w Sukiennicach, przewodnik. Kraków, 2012.
. Anna Budzałek: Obraz “Pochodnie Nerona” Henryka Siemiradzkiego. Muzea. Malopolska.pl.
. Magdalena Wróblewska: Henryk Siemiradzki, “Dirce chrześcijańska”. Culture.pl, grudzień 2010.